Roman noir français Fatale pour évacuer vos frustrations.

Roman noir français Fatale pour évacuer vos frustrations.

La rébellion littéraire de Jean Patrick Manchette dans Fatale

26 novembre 2024, 10h04

Depuis les élections, les appels à la politesse et au décorum me laissent de plus en plus frustré. Les discours sur le « pourquoi ne pouvons-nous pas tous nous entendre », les appels à plus de tolérance et de compréhension, et les banalités sur la recherche de l’unité dans notre amour des livres, ou peu importe quoi d’autre. Tout cela semble non seulement déconnecté de la réalité, mais aussi méprisant envers la douleur réelle et la colère que beaucoup d’entre nous ressentent.

En proie à ces frustrations, j’ai relu le roman policier Fatale de Jean Patrick Manchette, publié en 1977. Écrivain prolifique, traducteur, scénariste et chroniqueur, l’œuvre de Manchette est à la fois échappatoire et résolument de gauche et révolutionnaire. Fatale, traduit pour la NYRB par Donald Nicholson-Smith, regorge d’humour noir, de vengeance violente et de politique radicale – un reflet et une critique de mes propres sentiments selon lesquels nous n’avons pas tous à nous entendre.

Une héroïne rebelle et vengeresse

Fatale suit Aimée Joubert, une tueuse à gages qui quitte un mariage abusif et prévoit de quitter son emploi en extorquant suffisamment d’argent à la ville endormie et corrompue de Bléville. Cathartiquement, elle veut aussi nettoyer la ville des connards.

Le mépris de Manchette pour la société française des années 1960, en particulier pour les nantis et les puissants, transparaît dans ce livre. Ce qui m’a attiré de nouveau vers Fatale, c’est le plaisir viscéral de voir Aimée punir et dépouiller les conservateurs et hypocrites de la petite ville, les riches fanfarons, présomptueux et gâtés : un médecin, un agent immobilier, le propriétaire d’une petite usine produisant de la nourriture en conserve pour adultes, bébés et vaches.

VOIR  Semaine littéraire du 18 au 22 novembre 2024

Une critique sociale radicale

Les livres de Manchette sont remplis de personnages compromis. Il présente un monde qui n’est ni lisse ni spirituel, mais choquant de médiocrité et de corruption. Ses livres anticolonialistes et anti-élitistes offrent peu de héros, juste des gens pris dans un tourbillon du capitalisme. Guérilleros, militants, milliardaires et manifestants se télescopent violemment de manière explosive, stimulante et exaspérante.

Ce mélange social fait partie du projet radical de Manchette avec son noir, et il y a aussi une méta-histoire à Fatale qui m’inspire – la politique de Manchette a guidé son travail. Il était socialiste et a commencé à sympathiser avec les trotskystes, en particulier pendant la guerre d’Algérie des années 1960, lorsque les forces anticoloniales ont lutté contre un programme colonial français oppressif à l’étranger.

Une critique acerbe du genre noir

Fatale pousse cette impulsion à l’extrême et est peut-être son noir le moins stéréotypé – la maison d’édition française Série noire l’a apparemment rejeté pour être trop littéraire. Il y a encore beaucoup de noir cependant : le livre s’ouvre sur Aimée tuant un chasseur lubrique, puis se saoulant et se frottant avec de l’argent.

Le périple d’Aimée est amusant mais flou, mais ce n’est pas une recommandation pour imiter le personnage principal de Fatale. Les livres de Manchette ne sont pas destinés à être des modes d’emploi – il a dit à des lycéens dans les années 90 qu’ « un roman ne peut jamais être un pamphlet ». Aimée est cathartique à lire, mais pas aspirante : elle est violente et manipulatrice, un ange de la moisson ensanglanté. Mais elle n’est pas non plus complètement étrangère à nous et à nos désirs, et le livre comporte quelques moments où elle se contemple dans un miroir et se parle – elle est le remède et le poison, le pharmakon français.

VOIR  Hub Littéraire - 19 novembre 2024

Aimée veut humilier et balayer les connards qui ruinent Bléville, tout en se libérant et en faisant une fortune – c’est un modèle tentant pour l’Amérique de 2024. Beaucoup ont vu Fatale en conversation avec Red Harvest de Dashiell Hammett, deux livres sur le nettoyage de la corruption par tous les moyens nécessaires (Bléville de Manchette est couvert de panneaux criant « GARDEZ VOTRE VILLE PROPRE! »). Mais la version de Manchette est plus frustrante, plus réfléchie et avec moins de happy end hollywoodien. La croisade loufoque et infructueuse d’Aimée pointe vers une critique politique non seulement de la société dans laquelle le noir est ancré, mais aussi des solutions individualistes que le genre propose.

Conclusion : L’appel à l’action collective

Manchette décrit le noir comme étant « caractérisé par l’absence ou la faiblesse de la lutte des classes et son remplacement par l’action individuelle (qui est, accessoirement, sans espoir). » Aimée est avertie par un personnage de Fatale qui représente la voix de la gauche qu’elle ne peut pas atteindre ses objectifs seule. Elle l’ignore, à ses risques et périls. La fin abrupte et persistante de Fatale souligne la critique : nous ne pouvons pas y aller seuls. L’action collective et la solidarité sont les véritables espoirs d’un changement plus large, peu importe combien il est grisant de regarder la vengeance d’une femme se dérouler.

Leave a Reply