Horloge littéraire : On the Clock

Horloge littéraire : On the Clock

Plongée dans l’univers de Claire Baglin

Plongez dans l’univers de Claire Baglin avec son premier ouvrage, On the Clock. Née en 1998 en Normandie, où son père travaillait dans une usine et sa mère était assistante sociale. Jordan Stump est professeur de français à l’Université du Nebraska-Lincoln et a remporté le prix national de traduction ALTA pour la prose et le Prix de traduction de la French-American Foundation.

Au cœur de l’action

—Et pourquoi ici plutôt qu’ailleurs? Je suppose que vous avez postulé partout, même au concours.

La voiture ralentit, mon père actionne le clignotant gauche.

Enfin, après une heure de négociations, le van passe l’entrée, fait quelques tours du parking, et s’arrête. Les clés de mon père sont toujours dans le contact du Berlingo lorsque maman se retourne vers nous. Elle va nous donner un avertissement, nous allons entrer mais c’est une occasion spéciale et vous devez vous assurer de ne pas courir, de ne pas crier. La porte arrière s’est déjà ouverte, nous sommes dehors, Nico court, enfilant son manteau un bras après l’autre. Ses lacets sont défaits, il les a dénoués quelques heures plus tôt, après le troisième arrêt sur l’autoroute. Nous devons nous dépêcher, avant que les parents changent d’avis, avant qu’ils ne reviennent sur leurs pas. Les lampadaires semblent s’allumer à notre approche.

Très rapidement, Nico me laisse loin derrière, je garde un œil sur la porte. Mon nez entre dans ma bouche, les larmes remplissent mes oreilles. Le logo lumineux me promet qu’ils sont ouverts, cela me rassure. Il dit que nous ne vous laisserons jamais tomber, nous serons toujours là pour vous, partout. Je place toute ma foi dans cette lumière, qui clignote de temps en temps.

Nico monte les marches, son pied droit accroche la dernière marche et son visage heurte la porte en verre. Il rit quand je le rattrape, son nez écrasé. Les parents sont toujours loin derrière nous. Maman dénoue les manches nouées autour de sa taille pour enfiler son gilet. Mon père appuie sur la télécommande pour verrouiller les portes de la voiture, appuie sur le bouton une fois, deux fois.

Nico leur crie, dépêchez-vous, dépêchez-vous, l’odeur de friture nous parvient à travers la porte, l’odeur de la célébration, l’odeur de la reddition des parents.

Une immersion dans l’ambiance animée du fast-food

—Non, non, je connais mieux votre chaîne. Je n’ai jamais essayé les autres.

Nous entrons et les choses se compliquent. Ouf, les gens. Le hall est bondé, nous ne savons pas où commander. C’est un dimanche soir, fin des vacances. Maman dit d’attendre ici mais c’est trop tard, Nico est déjà parti. Il se faufile à travers la foule, repousse les corps avec ses petites mains, entre en collision avec des jambes et des sacs qui pendent. Nico se faufile dans chaque interstice et je le suis, me réduisant à sa taille, genoux pliés, bras tendus le long de mes côtés. Je continue d’avancer, mais contrairement à lui, je m’excuse car nous avons trois ans d’écart. Nico trouve un espace vide et s’y engouffre, se libérant de la foule. Les lumières fluorescentes brillent sur lui, enfin il atteint le comptoir. Ils le renvoient pour qu’il fasse la queue avec ses parents.

Pense à ce que tu veux commander pendant que tu attends. Nico donne des coups de pied dans les serviettes en boule. Parfois, il s’approche trop près du couple devant nous, comme s’il espérait changer de famille, et les ongles de maman le retiennent. Je fixe gravement le porte-clés accroché à un sac à dos. Mon père a déboutonné sa veste, il pétrit son sac en bandoulière et s’inquiète, je ne vois rien, où sont les frites? le prix c’est celui de gauche ou celui de droite? Maman regarde autour d’elle comme si elle avait perdu quelqu’un. Les coins de sa bouche sont rouges de chips salées. Lorsque le porte-clés avance et que je ne bouge pas, elle me pousse de sa main droite. Sur le mur, je vois la nouvelle pancarte interdisant de fumer, je la lis jusqu’aux petites lettres.

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À la caisse, une dame avec une casquette noire pose quatre questions auxquelles mon père répond, eh bien qu’est-ce que vous avez? Il se tourne vers maman, qui hausse les épaules. Nico sourit simplement. Puis mon père me pousse du regard, je dois me décider. Sur les panneaux, les burgers et les menus combo me sont tous inconnus, les boissons scintillent. Mon père répète chaque question que la caissière pose, boisson? dessert? accompagnement? J’opte finalement pour un menu enfant et un alien phosphorescent. Une fois passé la terreur de la commande, Nico et moi regardons tout être préparé derrière le comptoir, parfois criant c’est celui-là, c’est celui-là, et enfin vient le tour de mon père. Il dit eh bien, eh bien, et finit par demander des frites. La caissière se jette sur lui, elle va le dévorer. Elle lui propose le grand Coca, le burger parfait quand on a faim, et mon père demande quelle taille fait-il? Il essaie de la repousser avec son portefeuille, mais combien ça coûte? ah bon, peut-être pas alors. La dame ne le lâche pas, si vous le prenez en menu, vous aurez tout pour moins de dix euros. Les yeux de mon père s’écarquillent, les burgers brillent trop intensément pour lui, il est sur le point de se rendre mais fait une dernière tentative de résistance, puis-je avoir la taille normale?

Maman baille et regarde sa montre, qui retarde.

Un entretien d’embauche plein de rebondissements

—Vous êtes sûr de pouvoir vous lever tôt? Votre réveil va fonctionner?

Le patron pose trois fois, peut-être quatre fois, la question, et je me demande sincèrement. Vais-je vraiment me réveiller, puis-je promettre? Le patron est assis en face de moi avec son visage de trentenaire et sa moustache discrète, de celles qu’ils vous permettent d’avoir dans la restauration. Il me regarde avec ironie, attendant une réponse spontanée. Il veut savoir qui je suis et ce que je suis prêt à faire pour être à l’heure. Il s’attend à ce que je parle de l’honneur de rejoindre une équipe, d’un intérêt pour, d’un talent pour. Sur sa feuille, il a commencé une liste, quatre lignes, c’est moi. Il ajoute un nouveau trait, je dois lui donner quelque chose, et juste au moment où je lance une condamnation passionnée du sommeil, il essaie de me prendre au dépourvu.

—D’accord, donc vous n’aimez pas faire la grasse matinée, mais vous aimeriez bien aller à la mer cet été? Profiter de vos vacances?

—Oui, nous acceptons les chèques vacances, monsieur.

Jérôme esquisse un sourire de soulagement rapide et ouvre la fermeture éclair de son sac. Pendant un moment, il s’était imaginé les enfants en larmes, sa femme lui disant quel est ton problème Jérôme, tu aurais pu demander plus tôt. Il redoutait le retour à la voiture, Nico menaçant de ne plus jamais manger de sa vie et ce sera de ta faute, puis éclatant en sanglots à la simple idée de passer une heure de plus sans manger. Il s’était imaginé conduisant en silence, sans allumer la radio, ce qui serait pris comme une provocation à part entière. Le silence aurait perduré jusqu’à la cuisine, les enfants auraient bu de grands verres d’eau pour avaler les brocolis, et ce serait à jamais ce que le goût de la déception leur évoquerait.

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Ensuite, Sylvie se serait endormie sur le canapé après avoir fini la soirée comme on achève un animal en fin de vie, bon il est temps d’aller au lit, demain il y a école.

—Qu’étudiez-vous? Vous partirez comme tout le monde à la rentrée universitaire, n’est-ce pas?

Le patron a l’air mécontent. Quand je réponds, son sourire revient. En haut de sa feuille, il écrit mi-septembre et le cerne deux fois. Je ne suis pas juste dynamique, motivé et adaptable comme tout le monde. Mi-septembre devient ma qualité principale. Ma candidature ira en haut de la pile, devant les hésitants, ceux qui ont vaguement dit qu’ils partiraient à la fin des vacances d’été. J’ai l’impression que l’entretien touche à sa fin, dans un instant il va me mettre une casquette sur la tête et me présenter à mes nouveaux collègues, mais je sens que le convaincre nécessitera une dernière touche. Le stylo qu’il tient entre ses doigts tournoie, décompte, et une famille passe devant notre table, équilibrant des plateaux. Les enfants font éclater des ballons et veulent aller sur le toboggan. Je joue ma dernière carte.

—J’ai un permis de conduire.

Voilà! Asseyons-nous là-bas! Les parents nous suivent jusqu’à une table haute au milieu du restaurant. Nous jetons nos manteaux sur les tabourets et ils tombent, nous ouvrons les emballages mais maman nous arrête, lavez-vous les mains d’abord. Nous courons vers le dernier arrêt entre nous et le bonheur, maman parvient à attraper Nico par la manche. Il n’y a plus rien d’humain en lui. Ses cheveux sont hérissés d’électricité statique du manteau qu’il vient d’enlever, ses joues sont rouges, ses lacets traînent toujours et son pull est à l’envers et à l’envers, l’étiquette brillant de salive. Son visage est un immense mécontentement, il est sauvage, il en a marre de tout ça. Dans ses yeux, les nuggets qu’il a aperçus brillent encore. J’appuie sur la porte des toilettes et Nico la retient de toutes ses forces, nous hurlons car nos voix résonnent. Maman retient la porte derrière nous et se retourne, voit mon père commencer ses frites, la bandoulière de son sac enroulée deux fois autour de son poignet. Nico est déjà loin, je me rince les mains et en sortant la porte heurte une plante en pot, la renverse à moitié. Derrière moi, maman se fâche comme elle le fait si souvent dans les lieux publics, incroyable, tu ne peux pas être un peu plus prudent, éléphant dans un magasin de porcelaine.

—Je dirais que ma plus grande faiblesse est de ne pas avoir assez d’expérience.

—Attendez, attendez. Ce n’est pas une faiblesse, tout le monde doit commencer quelque part, et on vous forme ici. Une faiblesse, donnez-moi une faiblesse, n’importe laquelle, choisissez-en une. Êtes-vous impulsif? Avez-vous un tempérament?

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—Non, non.

—Vous n’avez pas peur du Covid, ou d’une autre maladie?

—Pas plus de risque de l’attraper ici que n’importe où ailleurs.

—Bonne réponse. Êtes-vous du genre rêveur, avez-vous tendance à oublier les choses?

—Non, enfin pas vraiment.

—Vous êtes rebuté par certaines corvées? Cela vous dérangerait-il de sortir les poubelles?

—Je le fais toutes les semaines à la maison.

—Certaines personnes trouvent ça dégoûtant.

—Pas moi.

—Je comprendrais si vous le trouviez.

—Eh bien, si je réfléchis vraiment . . . Non, ce n’est pas un problème pour moi.

—Donc vous n’avez pas de faiblesses, c’est ce que vous dites? Donc vous êtes parfait, comme moi?

Quand nous revenons vers lui, mon père a déjà fini toutes ses frites et maman s’en aperçoit, tu te moques de moi, eh fais attention Nico, manche dans la sauce. Les pailles sont plantées au centre des couvercles transparents, le Coca remonte et chatouille nos gorges. Mon père commence son burger, ne buvez pas tout le Coca, les enfants, vous allez gâcher votre appétit. Maman divise les sauces entre les boîtes, se met du ketchup sur les doigts. Nico commence à assembler le jouet, elle l’arrête, tu pourras jouer une fois que tu auras fini de manger. Je reste silencieux. Un nugget sur ma langue, je sens la chapelure se désagréger, la sauce glisser et se dissoudre. Nos cheveux brillent sous les lumières du plafond, nous avons des auréoles.

—Eh bien, je ne vais pas vous mentir, j’ai cent candidatures sur mon bureau, sans parler de celles en ligne, je n’ai même pas encore regardé celles-là, et aujourd’hui j’ai encore cinq entretiens après le vôtre.

Le patron est sur le point de demander ce qui me distingue, pourquoi devrions-nous vous prendre plutôt que quelqu’un d’autre. Il ne suffit pas d’avoir une voiture, de vivre à cinq minutes d’ici, et de rester plus longtemps que les autres candidats. Il faut aussi vouloir que les autres échouent à leurs entretiens, il faut vouloir leur voler le poste.

J’essaie de trouver un synonyme pour adaptable et je n’en trouve pas. Je ne peux pas dire polyvalent.

Alors, heureux? Nous sommes tous les quatre serrés autour de la table et toutes les cinq minutes mon père répète, alors, heureux? Nous sommes concentrés, ne pas déranger. La table est collante, des empreintes, de la mayonnaise sur le bord du plateau. Maman ramasse les débris pendant que nous repoussons les carcasses. Mon père raconte une histoire, ma première fois dans un fast-food, c’était à l’époque où j’étais encore en école technique, nous aspirions des morceaux de glace avec nos pailles et ensuite soufflions, les envoyant glisser dans les allées, de bons moments. Il rejoue toute sa vie, les murs orange de sa maternelle, les retenues au collège, sa certification technique, descendant bruyamment les escaliers du foyer à Hérouville pour appeler ses parents depuis une cabine téléphonique, hurlant dans le combiné je veux rentrer, je ne supporte pas ici. Sa mère est à une heure de là, essaye de le rassurer. Calme-toi maintenant Jérôme, de quoi tu parles, non tu ne vas pas mourir, tu vas obtenir ton diplôme et ensuite tu trouveras un petit boulot pas trop loin de la maison, c’est tout. Nico et moi poussons des exclamations de const

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