Lors de ma fin de l’adolescence, ma première rencontre avec Henry James ne m’a pas du tout impressionné. Les blocs de texte impénétrables, les phrases abstruses et sadiques qui semblaient ne jamais vouloir se terminer m’ont laissé perplexe. Verbeux. Prétentieux. Et surtout : mortellement ennuyeux. Mais plus de dix ans plus tard, ma redécouverte de James a été comme une réunion après une longue séparation. C’était comme si je retrouvais un amour perdu, un amour inattendu et involontaire.
### Une redécouverte inattendue
Ma réapparition dans l’univers de James coïncidait avec une histoire d’amour naissante. C’était comme si j’incarnais à la fois Henry St George et Paul Overt. Au cœur du conflit, comme dans « The Lesson of the Master », se trouvait un livre. J’étais sous contrat et sous pression. Je me voyais comme Overt dans la confortable pièce de St George, et j’entendais les encouragements du vieux auteur au jeune écrivain : « Essaie de faire un travail vraiment bon », ainsi que « Tu es très fort – tu es merveilleusement fort. » Assez fort pour renoncer à ma version de Marian Fancourt, comme St George espérait qu’Overt le ferait ?
### L’amour selon James
James n’est peut-être pas le premier auteur auquel on pense en matière d’amour, mais il a compris ce qui reste essentiel dans notre monde : la solitude persistante malgré une multitude d’interactions sociales, et la capacité de l’amour à trouver son bonheur dans l’infinitésimal, dans le silence et la quiétude entre deux personnes. L’amour dans les livres de James vit éternellement sur la corde raide, prêt à basculer d’un côté ou de l’autre, dans votre camp ou dans le mien.
### La valeur de l’amour chez James
La grande valeur de l’amour chez James réside dans sa capacité à rester constamment ressenti mais non dit, à rester en suspens – étouffé, réprimé, même non retourné – mais toujours une partie essentielle de notre identité. C’est un pacte sacré entre l’amoureux et l’objet de son désir ; il existe une confiance implicite en sa survie, même après l’épuisement de tout espoir de concrétisation, spirituelle ou autre.
### L’indépendance de l’amour selon James
Il y a une immense autonomie, et donc une attitude étonnamment indépendante vis-à-vis de l’amour chez James, quelles que soient les circonstances. Dans « The American », la passion de Christopher Newman pour Madame de Cintré dépasse de loin la simple fascination pour la comtesse. Son amour pour elle témoigne autant de sa dévotion envers sa fiancée précédente que de son idéologie et de ses convictions personnelles. Au final, c’est son caractère, sa nature intrinsèque, qui triomphe, même s’il quitte l’Europe les mains vides.
### Le pouvoir transformateur de l’amour
Pour simplement avoir aimé, vous changerez ; vous en apprendrez plus sur le monde et probablement sur vous-même. Et tout comme le lecteur est incapable de jouer avec succès le rôle de marieuse dans les livres de James, nous ne pouvons décider de ce qui rendra quelqu’un d’autre heureux, même si nous, de notre côté, pouvons envisager un avenir prometteur peint en haute définition. J’ai appris cette leçon de James.
### L’essence de l’amour chez James
Il faut les murs de texte que James écrit pour comprendre l’amour, pour nous laisser, comme la vague qui nous submerge et nous ensevelit sous son poids écrasant, pour nous faire pleinement comprendre ce qu’est l’amour, ce qu’il exige, et ce qu’il peut affronter. La profusion de langage rend ce qui n’est pas dit encore plus vivement ressenti, et nous arrivons à la distillation complète et parfaite de ces trois mots simples mais sacrés : « Je t’aime. »
### Conclusion
La vie ne nous réserve jamais exactement ce que nous imaginons ou désirons. Vous pourriez obtenir quelque chose de pire. Vous pourriez aussi obtenir quelque chose de meilleur. Ou quelque chose d’entièrement inattendu qui se situe quelque part entre les deux, et puis vous vous adaptez. Plus souvent qu’autrement chez James, l’amour ne se termine ni dans la tragédie mélodramatique d’un climax opératique, ni avec la fin luisante des contes de fées. Mais ce que James semble aussi promettre, c’est le pouvoir transformateur de l’amour.
Je me suis retrouvé à un carrefour de ma vie. J’avais le choix de rester, comme May Bartram, dans l’orbite de la personne que j’aimais, ou de renoncer, de vivre comme un Paul Overt, une Catherine Sloper, ou une Miss Tita. J’ai appris que l’amour est rarement, voire jamais, direct, et que l’on voit plus clair ce que l’on ressent en le voyant se refléter à travers le prisme du visage d’une étrangère rougissante.
Attendre. Vivre ! Et il n’est jamais trop tard.